Friday, September 18, 2009

Lettre ouverte à Manuel Valls

[Cette lettre a été initialement postée directement sur le blog de l’intéressé. Son destinataire n’ayant pas jugé opportun de la rendre publique, et encore moins d’y répondre, nous la publions ici]

Cher Manuel Valls,

c'est en tant que socialiste de cœur depuis toujours, quoique ne me reconnaissant aucunement dans cette fausse gauche de riches que tu représentes, que je réagis à tes récentes déclarations. Que le PS « traverse une crise profonde » ou « soit en danger de mort », qu’il soit porteur d’une « vision dépassée du monde », c’est l’évidence même, et personne ne le contestera. Mais là où tu évoques « la portée positive des évolutions en cours », la nécessité « d’affronter les conséquences de la mondialisation de l’économie et de l’individualisation de la société », ou celle d’en finir avec « l’anti-sarkozysme primaire » - et, significativement, ces mêmes mots viennent d’être repris par Jack Lang, cet autre représentant de la gauche caviar et allié objectif de nos actuels gouvernants -, là il me semble que tu t’égares totalement. Ou bien, ce qui serait plus préoccupant encore, que tu te sois à ton tour laissé séduire par une basse politique de collaboration avec les puissants de ce monde.

Le mot « socialisme » ne semble décidément « brouiller » que ton identité à toi. As-tu vraiment songé à tout ce que ce noble idéal peut encore aujourd’hui représenter pour les peuples d’Europe ? c’est, contre toute espèce de totalitarisme de type stalinien, l’espoir d’un réformisme modéré, seul respectueux des libertés réelles des hommes et des femmes de notre temps, et synonyme d’efficacité et d’indéniables avancées dans les domaines économique et social. C’est la possibilité de la promotion de l’Europe des nations et des régions, c’est-à-dire de la diversité, contre celle des marchands, ces éternels vecteurs de l’homogénéisation du monde, aujourd’hui sous prétexte de globalisation prétendument nécessaire. C’est encore l’espérance d’une plus grande justice sociale et d’une unité populaire retrouvée, pour ne mentionner que l’essentiel des valeurs qui y sont indissolublement attachées. Qu’avons-nous en face ? Rien d’autre que l’égoïsme et le matérialisme borné caractéristiques des bourgeois de toujours. L’esprit de jouissance érigé en principe, avec cette mentalité totalement déculpabilisée que donne aujourd’hui l’argent - la seule valeur que les privilégiés puissent connaître - à ceux qui en possèdent beaucoup, au motif qu’ils se sont contentés de naître... L’internationalisme le plus débridé, tel qu’issu de l’univers du commerce, ignorant toute différence culturelle, comme tout héritage ou toute volonté d’enracinement. Et il faudrait toujours davantage encourager le rapprochement, la confusion des genres et des valeurs, ruiner toujours plus l’espoir d’une réelle alternance politique au profit des peuples ?

Les brèches avaient déjà été très largement ouvertes depuis quelques décennies par la fausse gauche elle-même : c’était hier le cryto-trotskyste Jospin, formé à l’entrisme par la CIA - avec tant d’autres : Gordon Brown, Abdullah Gül, ou encore un certain Nicolas Sarközy... –, qui approuvait la refonte du régime général des retraites dans les modalités mêmes qui étaient alors exigées par la droite ; l’immobilisme en matière de social, sous couvert de social-réformisme ; la célébration quasi permanente de l’entreprise et du libéralisme le plus sauvage ; les égards pour le capitalisme financier le plus cosmopolite qui n’ait jamais été ; la prétendue nécessité des « réformes » ; les lois de décentralisation ou la « politique de la ville », sources de nouvelles prébendes pour les élus locaux et leurs proches ; etc. etc. Et depuis, sous couvert d’« ouverture », que de transfuges issus de la fausse gauche qui n’ont probablement jamais songé à se réclamer de l’« anti-sarkozyme primaire » ! Bernard Kouchner, Dominique Strauss-Kahn, Eric Besson, sont-ils de gauche ? ou bien les réflexes de classe hérités, ou le goût pour l’exercice du pouvoir, pour ne pas dire davantage encore, ne l’ont-ils pas chez eux définitivement emporté sur cette vague sensibilité progressiste qu’ils pouvaient bien afficher à telle ou telle étape de leur plan de carrière ? Claude Allègre mérite-t-il le noble nom de socialiste ? Des individualités telles que celles de Martine Aubry ou Bertrand Delanoë peuvent-elles susciter un quelconque espoir de renouveau ? Et vois-tu encore une quelconque différence entre Julien Dray et Nicolas Sarközy ? Ségolène Royal et Xavier Bertrand ? Dominique Strauss-Kahn et Eric Woerth ?

Non, la mondialisation et l’individualisme grandissant ne sont certainement pas constitutifs d’une sorte de fatalité à laquelle les peuples d’Europe devraient accepter de se plier, à ce que tu sembles décrire. Ce sont là plutôt les effets d’une politique délibérée d’abaissement du vieux continent, de ses valeurs les plus dignes et respectables, et de négation pure et simple de sa longue histoire. Les ouvriers français, ou allemands, ou grecs, devront-ils, sous prétexte de mondialisation, accepter dès demain de produire dans les mêmes conditions qui leur seraient dictées internationalement que leurs homologues chinois ou indiens ? d’être mis en concurrence avec des travailleurs turcs ou maliens, très bientôt haïtiens ou originaires d’Afrique du Sud ? les commerçants et artisans locaux subir la concurrence de ces multinationales de l’import-export dont le siège est à Abu-Dhabi, Hong Kong, ou ailleurs ? les consommateurs finaux se laisser imposer toutes sortes de produits de qualité de plus en plus médiocre, mais synonymes de marges bénéficiaires toujours plus élevées pour les distributeurs ?

Resterait encore à évoquer le sarkozysme : avec un tel système, les plus cyniques des profiteurs installés sur les plus hautes marches du pouvoir ; les lobbies tenant le haut du pavé ; la confusion permanente entretenue entre les sphères publique et privée ; le pays tout entier vassalisé à des intérêts étrangers ; les graves menaces qui pèsent désormais tout autant sur les libertés individuelles que sur la souveraineté et l’indépendance de l’État ; ou de la justice ; etc. Contre celui-là, qui pourra bien encore incarner l’indispensable esprit de résistance ? une extrême droite absorbée ? une extrême gauche instrumentalisée ? une fausse gauche, pour une part ralliée, et pour l’autre part laminée ? un parti communiste devenu groupusculaire ? Comme tu le vois, la voie de l’avenir est à trouver plutôt du côté d’une opposition résolue, se moquant bien de l’arrivisme des uns ou des autres, des querelles mesquines entre personnes, mais résolument socialiste, c’est-à-dire à la fois sociale et populaire, et nationale-européenne. Mais je doute sérieusement que tu puisses seulement te reconnaître dans celle-là.